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Brigitte Marlier, ingénieur de la formation et amie de nos écoles
La collaboration de Brigitte Marlier, ingénieur de la formation, avec nos écoles a commencé en 2009.
Grâce à sa disponibilité et à son enthousiasme, la relation professionnelle s’est chargée d’amitié, au point qu’après sa retraite, elle a assuré son accompagnement comme bénévole pendant plusieurs années.
Il y a deux ans, le lien s’est renoué et deux projets ont démarré : ils visent à développer l’enseignement du français langue étrangère aux petits et soutiennent l’activité des animatrices des jardins d’enfants avec les élèves en difficulté.
À cause du covid, le travail s’est développé en ligne, mais au mois de septembre dernier nous avons eu enfin le bonheur d’accueillir Brigitte en personne.
Pendant deux semaines, elle s’est mise entièrement et intensément à notre disposition.
Elle a visité toutes nos écoles impliquées dans les projets ; avec sa compétence et sa bienveillance habituelles, elle a su motiver et mettre en action les enseignantes et les animatrices.
L’activité va se poursuivre en ligne… mais une nouvelle session en présentiel est programmée l’année prochaine !
Nous vous proposons une petite interview dans laquelle Brigitte partage avec nous cette expérience.
Merci de tout cœur, Brigitte ! Et merci également à Annelise, Jorgos et tous les partenaires du projet PLE pour leur participation indispensable à notre travail.
Olivia et Stéphanie – Département de l’enseignement du Diocèse
Qu’est-ce qui t’a amenée en Tunisie en ce mois de septembre ?
Je suis venue en Tunisie remettre aux enseignantes de français des classes enfantines (Jardin d’Enfants-CP-1e et 2e de l’école primaire) les fruits du travail collectif auquel elles participent ‘à distance’ depuis 2 ans. Cependant, ma relation avec les écoles de l’Archevêché de Tunis est bien plus ancienne. En effet, j’ai eu le bonheur d’animer des formations d’été entre 2009 et 2011 pour l’apprentissage du français avec les ‘Moyens éducatifs Jean Qui Rit’ (lecture gestuée et écriture chantée). Retraitée en 2012, je suis revenue à plusieurs reprises accompagner les équipes dans la mise en œuvre de ces pratiques pédagogiques éprouvées par l’expérience de plusieurs générations d’enseignants à travers le monde.
Pour autant, une question subsistait : celle de trouver ou de concevoir un livre d’apprentissage du français adapté aux élèves tunisiens de 5 à 7 ans. Des réponses ont été apportées mais sans jamais satisfaire pleinement les attentes des enseignants et les besoins des jeunes élèves découvrant une nouvelle langue.
Avec l’aide du Centre International de Phonétique Appliquée (CIPA de Mons-BE) et éclairés par les récents apports du Conseil Scientifique de l’Education Nationale Française (rapport de l’étude du CSEN- Quelles méthodes et quels manuels pour l’apprentissage de la lecture ? – Canopé 2020), nous avons tenté de répondre ensemble à cette attente.
Parallèlement à ce travail de recherche collective pour concevoir un manuel pour les débutants en français (FLE), il m’a été demandé d’apporter mon concours à la réflexion des animatrices de Jardin d’enfants et de CP, concernant la préparation des élèves à la scolarité, en arabe et en français.
Dès 2009, j’avais constaté à Tunis comme à Aïn Draham l’intérêt des animatrices de JE et CP pour les ‘Moyens Educatifs Jean Qui Rit’.
Poursuivre ensemble cette réflexion et trouver des passerelles pour harmoniser au mieux les pratiques éducatives, indépendamment de la langue enseignée, m’a d’emblée passionnée.
Les échanges en ‘visio-conférences’ des 2 dernières années se devaient d’être complétés par des rencontres ‘de terrain’ dans les lieux où les animatrices exercent leur mission auprès des tout-petits. Ce temps de rentrée des classes s’est révélé un moment idéal pour échanger autour de l’aménagement de la classe, des affichages ‘à hauteur des yeux des enfants’ et autres partages, telle l’expérimentation de la lecture ‘pictographique’ (lecture d’images) dans les deux langues ou encore les chants graphiques qui ne connaissent pas de frontières linguistiques. L’ouverture d’esprit et la confiance mutuelle au sein des équipes est riche d’espérance.
Qu’il s’agisse de développer le langage oral ou d’installer les bases de la langue écrite (française ou arabe), les références anthropologiques sur lesquelles se fonde notre approche ont une dimension universelle. Le réseau d’entraide pédagogique ‘PARLER, LIRE, ECRIRE sans frontières’ qui porte ces projets en Tunisie, mais aussi au Togo, en Belgique ou en France auprès d’élèves migrants ou d’adultes en alphabétisation, n’a d’autre but que d’ouvrir les cœurs et les esprits aux horizons d’un monde multiple, multicolore et multilingue qui est désormais le nôtre.
L’engagement des écoles dans ce projet est plein de promesses !
Comment ton séjour s’est-t-il déroulé ?
Rencontrer en 10 jours 6 équipes pédagogiques dispersées sur le nord du pays relevait du Marathon. Grâce à la disponibilité de tous et à l’engagement du bureau de l’enseignement, la tournée des écoles s’est déroulée magnifiquement. De Tunis à Menzel Bourguiba en passant par Bizerte et La Manouba nous avons fait un premier tour de piste pour présenter les documents pédagogiques et le matériel conçu pour l’apprentissage du français oral et écrit. Nous sommes ensuite revenues dans les écoles pour développer des ‘ateliers pédagogiques’ au cours desquels les enseignantes ont pu expérimenter concrètement les ressources pédagogiques et se projeter dans l’usage qu’elles pourront en faire dans leurs classes.
Les Jardins d’enfants ont eu droit à un régime ‘spécial’. La proximité du Jardin d’enfants ‘Nazareth’ m’a permis de leur rendre visite à trois reprises et d’entraîner deux animatrices de CP à la rencontre organisée avec les enseignantes de Don Bosco-Tunis.
La journée à Aïn Draham a conclu le marathon par un moment de pur bonheur. Nous avons débattu, en français et en arabe (merci Sr Gracia et Madame Hadija) des questions aussi fondamentales que la mission confiée aux animatrices ou l’accueil ‘ensemble’ d’un jeune enfant atteint d’autisme.
Je ne peux manquer de souligner que le confort de mon séjour doit beaucoup à l’accueil fraternel de mes ‘logeuses’, les filles de la Charité, si bien nommées.
Que tires-tu de cette expérience ?
Tout d’abord, une profonde gratitude pour le père Otello qui, il y a 13 ans, m’a lancée dans l’aventure. L’émerveillement aussi pour tout ce que j’ai contemplé de beau, de bien, de bon dans les écoles : je ne me lasse pas d’admirer l’énergie, l’intelligence collective mise au service d’un projet d’éducation, à la fois exigeant et respectueux des fragilités de chacun. La capacité des écoles de l’Archevêché à accueillir des élèves ‘différents’ est un vrai ‘plus’ pour la communauté éducative, mais aussi une charge à partager. J’ai vu l’attention portée à ces élèves et les moyens, souvent importants, mobilisés pour répondre, au plus près, aux besoins de chacun.
Revenir à Tunis après quelques années d’absence m’a aussi fait toucher du doigt les difficultés économiques croissantes dans lesquelles se trouvent beaucoup de personnes. Dans ce moment de ‘crise’ qui dure et affecte toutes les couches de la société tunisienne et plus largement l’ensemble de nos sociétés, je réfléchis à la pertinence des choix que nous pouvons faire pour réduire le coût du matériel d’enseignement et œuvrer pour une plus grande sobriété, sans rien perdre de l’efficacité pédagogique.
Cette question a traversé nos échanges et plus d’une école s’interroge sur les critères qui devraient présider au choix des manuels scolaires. Devant la montée en flèche des prix du livre et du matériel scolaire, une question s’impose ou ne tardera pas à s’imposer : de quoi les élèves ont-ils réellement besoin pour apprendre, pour grandir et devenir des adultes responsables ? Je n’ai pas la réponse, mais je sais qu’en tant que pédagogues, parents et citoyens, nous ne pouvons échapper à la question économique, voire écologique, qui sous-tend les choix de manuels et la liste des fournitures scolaires.
En 2011 j’étais dans les écoles lors des jours dramatiques que la Tunisie a traversés. Avoir partagé ces évènements m’a fait mesurer le courage de chacun et de tous. Aujourd’hui, dans la période d’inquiétude que le Pays vit, le courage est toujours là : il nous pousse à aller de l’avant, à oser la confiance.
C’est cette confiance radicale que j’emporte avec moi et me fait espérer, non seulement de vous revoir bientôt, mais aussi et surtout, de voir les écoles et avec elles la communauté chrétienne qui les porte, relever le défi du ‘vivre ensemble’ que chacun déclinera à sa manière : travailler, inventer, chercher, étudier… créer ensemble le monde de demain.
Brigitte MARLIER